
Une main tendue à Michèle Nguyen qui, par le spectacle Marie sur le pavé en duo avec Gaëtan van den Berg, renoue avec la narration et la scène lors du 30e anniversaire du Festival interculturel du conte de Montréal. Voici, sous la plume de Louise Frognet, l’histoire de ce retour artistique.
Michèle Nguyen invitée au Festival
L’édition 2023 marquait les 30 ans de création du Festival interculturel du conte de Montréal. 30 ans, c’est un anniversaire rond, comme on les aime, de ceux qu’on célèbre de manière un peu plus festive et marquée. Et puis, qui dit « anniversaire » dit « cadeau ». Il est des cadeaux qui se provoquent, qui se cherchent, qui même parfois se commandent. Dans ce cas, il n’est certes pas question d’un objet commun et banal – inutile même, la plupart du temps – dont l’acquisition ne tient qu’à un clic de souris, une carte de crédit et une adresse postale pour le recevoir, bien emballé dans une boite trois jours plus tard. Non. Dans ce cas précis, le cadeau émergea d’une discussion téléphonique entre la directrice du festival, Stéphanie Bénéteau, et Michèle Nguyen, conteuse belge. Cette dernière affirme que les contes, sous leur forme orale et publique, naissent de moments opportuns, jaillissent de hasards programmés par la vie, touchent si fort, remuent si profondément qu’il devient urgent de les dire. À l’appel de Stéphanie, Michèle a senti qu’il était temps, après une longue pause de sept ans, de retourner à l’écriture, de renouer avec la narration et avec la scène. L’urgence était devenue presque vitale.
Spectacle Marie sur le pavé
De cette main tendue est née Marie sur le pavé, histoire contée en duo avec Gaëtan van den Berg. Parce qu’ils étaient deux à l’avoir vécue, pour que chacun puisse donner son interprétation du réel ; parce que beaucoup, dans cette histoire, allait par paire : une mère et sa fille, un couple, une bonne ukrainienne et un petit garçon, un appareil photo et l’Immaculée Conception. L’interprétation en duo prenait tout son sens. Ce conte rassemble et entrelace des fragments de ces sept années écoulées, mêlés au récit de Marta et Grégoire, histoire originelle pour Michèle Nguyen, celle que lui lisait son institutrice à l’école primaire, celle qui lui a donné le goût des mots et de les dire, celle qu’elle rêve depuis toujours de partager. C’est en avant-première que le public montréalais a pu découvrir cette nouvelle création intime et originale, où, pour la première fois, la conteuse n’était pas seule en scène. Cette édition du festival fut également l’occasion de revoir deux spectacles plus anciens de la conteuse, Vy et Amadouce, ainsi que de l’écouter sur la scène du Théâtre Outremont lors de la soirée d’ouverture et à la Maison de la culture Janine-Sutto pour le Marathon du conte.
De l’émotion jaillit le conte.
Démarche artistique
À travers ce nouveau spectacle, comme au sein de son univers en général, Michèle travaille l’émotion, l’intime, le récit de soi et des autres tels qu’ils sont, laissant entrapercevoir leurs failles poétiques et leur brute sensibilité. Elle raconte le banal, le quotidien, elle raconte Marta dans sa cuisine, elle se raconte au marché aux puces ; comme dans Vy, elle contait sa grand-mère et ses remarques racistes, et, dans Amadouce, l’attente d’un enfant, avec tout ce que cela comporte d’évidences et de difficultés. La conteuse s’inspire et met des mots sur ce qu’elle connait, ce qui lui a été transmis, en termes d’émotions, d’histoires et de vies. Ainsi, elle a le sentiment de dire juste, de ne pas tricher, de ne pas mentir car l’histoire l’a traversée elle d’abord, avant de faire voyager tous les autres qui l’écouteront à leur tour. Michèle possède cette particularité de mêler l’écrit et l’oral dans sa démarche créatrice. En effet, ses histoires naissent inévitablement de la pointe de son stylo, pour ensuite être incarnées par son corps et sa bouche. Elle dit : « L’écriture permet un cisèlement extraordinaire, je ne suis pas pour le bavardage, chaque mot est précieux ». Avec toujours le même défi qu’elle s’impose, le même objectif à atteindre : « Comment rendre une histoire aussi vivante que la vie ? » Pour Michèle Nguyen, c’est cela qui compte avant tout : rester dans la vie, retransmettre la justesse du récit qui s’impose à elle. Pour elle, le conte, c’est ça : un échange simple et élémentaire, une parole au public, sans fioriture, sans excès, sans recherche de beauté absolue. Non.
De sincérité. Oui.
Biographie de Louise Frognet
Passionnée de mots, dits ou écrits, Louise Frognet est professeure de français langue étrangère et d’alphabétisation à Bruxelles, en Belgique. Elle collabore avec le FICM depuis 2017, à distance, à travers la rédaction d’articles, et durant le festival, en tant qu’aide à la logistique et à la coordination.